samedi 20 avril 2024

Monkey Man

Retrouver la star de Slumdog Millionaire derrière et devant la caméra d’un film de baston énervé produit par Jordan Peele a de quoi éveiller la curiosité si ce n’est une attente fébrile. 
Le résultat, s’il n’est pas toujours à la hauteur de la hype générée par le film, est assez honnête pour susciter une bienveillance immédiate. 
Film d’action aux influences multiples, des récentes pellicules indonésiennes et thaïlandaises en termes de combats chorégraphiés jusqu’aux canons du genre américains pour la caractérisation du héros, Monkey Man puise à la fois dans l’iconographie de la culture indienne et dans les stéréotypes d’un genre très codifié. 
D’un divertissement très premier degrés à une dimension sociale exacerbée quand le personnage principal s’érige en défenseur des opprimés, les hijras (transgenres et homosexuels) en tête, le film de Dev Patel oscille constamment entre brutalité crue et onirisme, saillie gore et sentimentalisme à l’eau de rose, spectacle primaire et brûlot politique parfois naïf. 
Immergé dans les traditions hindoues par la figure du dieu Hanuman, le film n’en demeure pas moins résolument connecté à une modernité tout aussi prégnante en Inde, symbole de la prédation des plus riches et d’une avidité à peine voilée par le vernis du fanatisme religieux, des brutalités policières et des manœuvres politiques. 
Maladroit, épuisant dans son éclectisme, codifié à l’extrême et pourtant unique en son genre, Monkey Man est suffisamment sincère et généreux dans sa démesure pour engendrer la sympathie.

dimanche 14 avril 2024

La Malédiction : l'origine

Une jeune religieuse américaine se retrouve en Italie, enceinte malgré elle, dans un couvent peuplé de personnages inquiétants et de nonnes austères qui fomentent en secret un complot visant à restaurer la toute puissance de l’église, quitte pour cela à jouer avec des forces qui les dépassent.
Hasard du calendrier ou fuite malencontreuses, le scénario de ce prequel du film de Richard Donner ressemble tellement à celui d’Immaculée sorti sur les écrans français deux semaines plus tôt que la comparaison devient inévitable. Et si les deux films partagent un personnage principal porté par une interprète totalement investie dans son rôle (épatantes Sydney Sweeney dans Immaculée et Nell Tiger Free dans La Malédiction : l'origine qui a bien grandi depuis son rôle de Myrcella Baratheon dans Game of Thrones), la ressemblance s’arrête là. 
Car là où Immaculée réussissait à condenser en une heure trente un film de genre engagé et rageur, La Malédiction : l'origine étire sur deux heures une intrigue qui aurait gagné à plus de concision, coincée entre un cahier des charges obligatoire et des efforts manifestes pour développer sa propre identité. Et c’est précisément sur ce point que réside l’intérêt du film. 
Au travers de quelques scènes chocs, d’une mise en scène soignée et de la prestation de Nell Tiger Free, le film d’Arkasha Stevenson réussit à exister par lui-même tout en respectant les codes de la série (le prologue semble d’ailleurs tout droit sorti du film original de 1976). 
Moins viscéral et frontal qu’Immaculée, La Malédiction : l'origine n’en demeure pas moins un préquel à la fois fidèle et incarné d’une saga qui n’a pas inspiré que des chefs d’œuvres.

lundi 8 avril 2024

Pas de vagues

Comme le personnage d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, Julien aimerait changer la vie de ses élèves, ou du moins leur laisser un souvenir impérissable, celui du professeur de collège dont on reparle des dizaines d’années après avec reconnaissance et un brin de nostalgie dans la voix. 

Comme tant d’autres professeurs, Julien passe ses journées entre une falaise et un précipice. Le mur administratif et le bloc de ses collègues dont la bienveillance de principe ne supporte que mal leur remise en cause, et le numéro de funambule qu’il exécute chaque jour devant une classe qu’il tient à bout de bras comme une charge de nitroglycérine qui ne demande qu’un choc pour exploser. 

Ce choc, ce sera une expression mal interprétée, un traitement de faveur maladroit, un enchainement de quiproquos et de rumeurs aussi explosifs qu’une trainée de poudre. Alors commence une lente mais inexorable descente aux enfers que rien ni personne ne pourra enrailler. 

Des cours de récréations aux classes en passant par la salle des profs, la caméra de Teddy Lussi-Modeste suit ses acteurs au plus près et dresse le portrait sans concession d’une machine administrative et d’un corporatisme dont la nocivité passive n’a rien à envier à la brutalité d’élèves à la dérive. 

Si l’on peut reprocher au film un parti pris trop centré sur le professeur alors que le point de vue de Leslie n’est que trop tardivement explicité, Pas de vague se regarde comme un thriller passionnant dont la montée en tension s’accompagne d’une photographie glaçante de la solitude des professeurs confrontés à des situations qui les dépassent.

samedi 23 mars 2024

Immaculée

Le personnage de la nonne, au même titre que les soldats nazis ou les prisonniers, fait l’objet d’un sous genre à part entière du cinéma d’exploitation qui connut son zénith dans les années 70 à 80 en Europe et au Japon. 
C’est donc dans la lignée de la nunsploitation et son cortège de passages obligés (nonnes inquiétantes, couvent austère, châtiments corporels, imagerie chrétienne) que Michael Mohan situe son nouveau film. Mais s’il exploite à fond les codes du genre er tire le meilleur parti de ces lieux cloitrés dissimulant les secrets les moins avouables, le réalisateur américain ne se cantonne pas pour autant au film d’épouvante standard ponctués par les habituels jump scares. 
D’une durée salutaire d’à peine une heure trente, Immaculée dénote des productions actuelles par un montage aussi discret qu’efficace qui déroule habilement son histoire sans aucun temps mort. 
Incarnés par une pléiade d’actrices impeccables (seul Alvaro Morte semble se contenter du minimum syndical), les personnages déambulent dans des couloirs sombres où les portes claquent et les planchers grincent en plein milieu de la nuit. Mais malgré quelques effets convenus destinés à faire sursauter le spectateur à un rythme de métronome, Immaculée ne sombre que rarement dans la facilité et se hisse au-dessus des films d’horreur habituel par une réalisation et une direction d’acteur maitrisées de bout en bout. 
Gentiment anticlérical à ses débuts, le film sombre dans sa dernière demi-heure dans une rage nihiliste qui nous laisse pantois et haletant, souffrant avec une héroïne hissée bien malgré elle au rang d’icone féministe pourfendeuse de l’autorité ecclésiastique. 
De son prologue jusqu’au dénouement final, Immaculée tient les spectateurs en haleine et s’impose dés à présent comme l’une des meilleures surprises horrifiques de ce début d’année.

jeudi 29 février 2024

Dune Partie 2

En 2021 Denis Villeneuve faisait le pari un peu fou d’adapter le roman tentaculaire de Franck Herbert sur grand écran. Malgré des impasses narratives inévitables (le mythe de l'ordre du Bene Gesserit n’est par exemple qu’effleuré), ce premier film évitait les écueils d’une exposition trop scolaire tout en posant les bases de la mythologie et de la chute de la maison Atréides. 
Trois plus tard le réalisateur canadien nous embarque de nouveau sur Arrakis en compagnie de Paul Atréides et de sa mère Lady Jessica qui voit en son fils le nouveau messie. Elle n’est pas la seule et le survivant de la maison Atréides va se retrouver à la croisée des chemins, déchiré entre ses aspirations personnelles et une destinée hors du commun. 
Spectacle de haut vol porté par la musique de Hans Zimmer, Ce deuxième volet embrasse à bras le corps les thèmes chers à Franck Herbert parmi lesquels le pouvoir des religions et les mécanismes du fanatisme sont les plus intéressants. 
Entre pouvoir et responsabilité, l’auteur et à travers lui le réalisateur interroge les arcanes du pouvoir et la manipulation des foules (« annoncez leur la venue d’un messie et ils l’attendront pendant des siècles » proclame Chani dont la supposée clairvoyance s’oppose frontalement à l’emprise de la mère de Paul et sa propension à semer les graines du fanatisme). 
Space opéra réjouissant malgré la multiplicité des personnages et des intrigues, la saga Dune pensée par Denis Villeneuve réussit le pari d’allier spectacle total et réflexion pertinente sur la naissance et les dérives d’une religion.

samedi 24 février 2024

Sleep

L’ennemi intime. Depuis que son mari est sujet à des crises de somnambulisme, Soo-jin ne dort plus. De comportements étranges à des pulsions suicidaires, Hyun-su devient dans son sommeil un étranger au sein de son propre foyer, un inconnu de plus en plus menaçant pour sa femme, son chien et bientôt leur nouveau-né. 
Entre les impasses de la médecine et la tentation de l’occulte, Soo-jin se sent peu à peu basculer dans une angoisse irrépressible dont elle ne perçoit pas l’issue pour elle et sa famille. 
Grand prix du dernier festival international du film fantastique de Gérardmer, le premier film du coréen Jason Yu entremêle adroitement les codes de la comédie grinçante voire franchement morbide proche du Parasite de Bong Joon-ho dont il fut par ailleurs l’assistant, et le film de pure épouvante plongeant ses racines dans le home invasion et le récit de fantôme indissociable de la culture asiatique. 
Métaphore d’un couple au bord de l’explosion et d’un pays divisé depuis des dizaines d’années, Sleep alterne les séquences de jour et de nuit, basculant d’un portrait en creux de la classe moyenne coréenne à une ambiance inquiétante quand l’être aimé se mue en menace mortelle. 
Habilement mené et porté par deux acteurs incarnés dont le regretté Sun-kyun Lee récemment décédé et à la mémoire duquel le film est dédié, Sleep aurait gagné en puissance à conserver cette ambiguïté sur laquelle repose une grande partie de l’intrigue sans proposer au spectateur une explication trop évidente. 
Jason Yu signe un premier film parfaitement maitrisé et demeure l’une des figures montantes d’un cinéma coréen décidemment plein de promesses.

samedi 10 février 2024

Amelia’s Children

Si on ne pense pas forcément au Portugal quand on évoque le cinéma fantastique européen, le nouveau film du réalisateur Gabriel Abrantes s’est néanmoins fait remarquer au trente et unième festival de Gerardmer en remportant le prix du jury exæquo avec le franco-belge En attendant la nuit.
Et c’est bien dans la grande tradition des films horrifiques les plus classiques (demeure mystérieuse, malédiction familiale, sorcellerie, villageois hostiles) que se situe cette plongée en enfer pour Ed, jeune new-yorkais orphelin depuis sa naissance lorsqu’il découvre sa nouvelle famille au fin fond du Portugal. Après l’émoi des retrouvailles, sa petite amie Ryley commence à trouver sa nouvelle belle mère et son beau frère vraiment flippants. Et pour cause. 
S’il utilise toutes les ficelles des codes horrifiques, Gabriel Abrantes n’en oublie pas moins d’instiller une bonne dose de perversion dans cette histoire de quête de jeunesse éternelle sur fond d’inceste et de sacrifice d’enfant. 
Pression psychologique avec une montée en tension efficace et horreur physique lorsque l’on découvre cette figure maternelle défigurée par la chirurgie esthétique (le pendant moderne et sarcastique des sacrifices de vierges pour rester éternellement jeune), Amelia’s Children joue surtout avec une inversion des rôles pour prendre le spectateur à contre-pied. Témoin cette scène d’introduction où le véritable danger ne vient pas forcément de là où on l’attend, et le duo Ed et Ryley dont les stéréotypes masculins et féminins s’inversent continuellement (Ed est sujet à des crises de panique et passe son temps à être secouru tandis que sa fiancée endosse le rôle de l’héroïne qui pète des genoux à coups de marteau). 
Malgré un déroulé un tant soit peu prévisible, une réalisation convenue et quelques zones d’ombres dans le scénario, Amelia’s Children n’en demeure pas moins un film d’angoisse efficace qui explore avec une certaine impertinence les sentiers battus d’un genre horrifique qui ne demande qu’à se renouveler.